mercredi 13 février 2013

De la compensation de créances en matière de Procédures Collectives

La compensation entre des créances croisées est une façon simple et rapide de faire diminuer son encours.

Simplicité en tout cas quand votre débiteur est in bonis.

Dans ce cadre, l'article 1290 du Code civil joue à plein:

"La compensation s'opère de plein droit par la seule force de la loi, même à l'insu des débiteurs ; les deux dettes s'éteignent réciproquement, à l'instant où elles se trouvent exister à la fois, jusqu'à concurrence de leurs quotités respectives."

Seul impératif (ou presque si on écarte la compensation de denrée qui nous intéresse peu dans le cadre de ce blog): que les créances en question soient liquides et exigibles.

La situation est différente (et d'autant plus capitale) si votre débiteur a fait l'objet d'une procédure collective.

Le cas qui nous intéresse est le suivant:

Votre débiteur vous a laissé une ardoise, pouvez-vous la compenser avec votre propre dette envers le débiteur ?

Si les conditions de l'article 1290 du Code Civil sont remplies avant la date du jugement, aucun doute, vous pouvez donc considérer votre créance comme étant diminué d'autant.

Par contre, si votre créance acquiert les conditions d'exigibilité et/ou de liquidité après la décision du Tribunal, vous devrez justifier d'une connexité entre les créances que vous entendez compenser.

Première chose à faire (et à ne jamais oublier): Déclarer votre créance !

Puis vous pencher sur les éléments justifiant de cette connexité.

Connexité...Il était impératif que la Jurisprudence définisse cette notion plutôt vague et vous trouverez nombre d'arrêt vous guidant dans cette quête.

Pour résumer, au fil des arrêts, la Cour de Cassation a défini largement la connexité et donc élargi le domaine de la compensation, jusqu'à englober des créances appartenant à un même ensemble contractuel unique.

Je vous propose, à l'occasion d'un récent arrêt (Commerciale, 18 décembre 2012), d'examiner un cas un peu particulier de compensation, ou plutôt un cas où celle-ci a été rejetée.

Une société X signe un contrat d'approvisionnement exclusif de 3 ans, renouvelable avec tacite reconduction, avec son client la société Y.

Les choses tournant mal, X voyant ses factures impayées, cette dernière décide de dénoncer le contrat et d'assigner en paiement Y.

Laquelle Y a fait l'objet d'un Redressement Judiciaire, transformé en Liquidation Judiciaire.

Les mandataires judiciaires responsables de la société Y vont rechercher, avec succès, la responsabilité de X, pour pratiques discriminatoires et rupture brutale d'une relation commerciale établie.

En résulte une condamnation de X à verser à Y des dommages et intérêts.

Une réflexion rapide pourrait amener à la conclusion hâtive de la possibilité pour X de compenser sa créance déclarée avec le montant des condamnations, toutes ces sommes étant issues de la même relation contractuelle.

Mais ce serait oublier l'origine des dommages et intérêts prononcés: il s'agissait d'une faute non contractuelle, mais quasi-délictuelle.

La Cour de Cassation confirme que, de ce fait, la compensation est impossible.

Résultat: X se trouve à la fois devoir des sommes, sans aucun espoir (du fait de la liquidation judiciaire), de pouvoir recouvrer sa propre créance.

On voit ici, comme souvent en matière de Droit, que le diable est dans le(s) détail(s)...






3 commentaires:

  1. Très intéressant comme arrêt: je suppose que la relation commerciale établie a été rompue avant l'ouverture du redressement judiciaire, si le créancier avait "attendu" l'ouverture du redressement judiciaire, soit le mandataire aurait continué le contrat (auquel cas seules les créances antérieures à cette décision n'auraient pas été payées) ou alors le mandataire aurait pris la décision de rompre le contrat. Dans les deux cas, la solution paraît moins coûteuse que la condamnation prononcée en vertu des deux fondements.
    En somme, rompre un contrat lorsque l'on suspecte que notre partenaire va être frappé d'une procédure collective peut entraîner les effets inverses de ceux initialement désirés, à savoir limiter les pertes liées à une inexécution contractuelle.

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    1. Exactement; Néanmoins, ne pas rompre la relation arrivé à un certain stade d'impayés apparaît tout aussi difficile pour un fournisseur face à un client en difficulté; en allant plus loin dans le raisonnement, ce fournisseur n'aurait-il pas encouru une sanction pour soutien abusif s'il avait continué à travaillé avec son distributeur ? La limite est toujours difficile à apprécier, d'autant que nous ne connaissons pas les faits et arguments échangés par les parties en premier ressort et appel.

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  2. Très fine comme argumentation de la juridiction de cassation. Je suis plutôt content de découvrir cette nuance.

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